Tout naturellement, on a envie de rechercher l’auteur – Abraham Estin – dans son personnage – Yossef -, le « petit-fils de Yossef-qui-ne-jure-jamais ». Or, si le roman est nourri de souvenirs personnels, Yossef n’est pas Abracha.
Abracha (Abraham Estin, l’auteur)
Il naît en 1919 à ’Kharkov, où est repliée sa famille – ses parents et son frère Ossya, né en 1912. Le père a progressé socialement grâce à son obstination d’autodidacte jusqu’à devenir chef comptable de la fabrique de tabac Szereszewski. La famille regagne Grodno en 1921. Le père crée une petite entreprise assurant aux siens une relative aisance.
Abracha part faire des études de médecine à Bordeaux en 1937. Au début de la guerre, il s’engage comme infirmier dans la brigade polonaise en France. Fait prisonnier, il s’évade d’Épinal en 1941. Arrêté pour faits de résistance, il est déporté à Buchenwald en juin 1943. Six mois plus tard, on lui donne la possibilité de travailler à l’infirmerie, ce qui lui permet de survivre jusqu’à la libération du camp en avril 1945. (Ses deux parents ont péri dans la Shoah ainsi que toute la famille Epsztejn – sauf une personne –, et plusieurs membres de la branche Marszak. Son frère en revanche n’a pas souffert de la guerre.)
Quelques mois après son retour en France, il épouse une jeune fille française catholique dont il s’était épris fin 1941, et a une enfant un an plus tard (voir Traces). Il est naturalisé français en 1948. (Son épouse meurt d’un cancer en 1951 ; il se remarie avec une femme juive polonaise, veuve et mère d’un fils. Ils ont ensemble une fille.
Abracha vit en France jusqu’en 1969 en pratiquant la médecine. Puis il immigre en Israël, où il réside et exerce pendant dix ans dans un kibboutz avant de se retirer à Jérusalem. Il meurt d’un cancer en 1983. Les sept dernières années de sa vie ont été largement consacrées à l’écriture (Voir les deux dernières photos de Traces et aussi des Repères biographiques plus étoffés).
Yossef (le héros et narrateur du roman)
Né en 1912 à Grodno, il a une sœur aînée, ’Hayélé. Sa mère part à ’Kharkov en 1914, tandis que son père est arrêté par la police russe pour ses activités militantes de bundiste. Rentrée à Grodno en 1921, la famille apprend la mort du père.
Yossef, sa mère et sa sœur vivent très modestement et surtout socialement repliés. Il étudie la mécanique dans une école professionnelle.
En 1929 il part à Liège, et de là immigre illégalement en France. Malgré les conditions difficiles que cela implique, il finit par progresser grâce à un artisan antisémite qui – très paradoxalement – l’a pris en affection. C’est par lui qu’il obtient la nationalité française en août 1939, mais c’est trop tard : il est pris au piège par la guerre à Grodno, où il était venu en visite avec sa femme – une jeune femme juive polonaise épousée à Paris. Un fils lui naît en 1940.
Dans Grodno occupée par les Russes puis par les Allemands, Yossef tient un journal où il consigne le quotidien de la communauté juive en même temps que des faits personnels. A la fin du ghetto en février 1943, Yossef est déporté à Treblinka avec sa femme et son enfant, qui périssent là-bas. (Il est dit que certains membres de sa famille ont également péri ; pour les autres, le récit n’en parle pas.)
Après la Libération, alors qu’il projette de partir en Éretz-Israel, Yossef a une brève liaison avec une jeune femme juive rencontrée dans un camp de personnes déplacées à Munich. Il en aura un fils à son insu, et ne fera la connaissance de celui-ci que trente ans plus tard.
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